Résurgences vient de publier le catalogue de L’étendue muette, une exposition proposée par Caroline Engel à la Maison des Arts de Grand-Quevilly. L’ouvrage réunit les œuvres de quatre artistes talentueux qui bousculent quelque peu nos perceptions et projettent les regards et les esprits dans des espaces indistincts et atemporels.
« Être dans un espace, pas n’importe quel espace. Celui qui imprime sur vous une grande solitude, une obligation de retour sur soi. Un espace qui ne ment pas. Celui qui, au final, occupe toute la place. Un espace où le temps est à la fois omniprésent et insaisissable. Un lieu dans lequel tout est silence. Un lieu fait détendues, de topographies, de reliefs, d’énergies (humaines et autres) sans doute inépuisables ; à contempler sereinement, à expérimenter sans relâche.
Vivre à la montagne engendre quelques répercutions. Après trois années de vie et de travail au cœur des montagnes (et ailleurs), j’ai vu dans le travail de ces quatre artistes et plus particulièrement dans leurs dessins un écho à mon espace de vie, de pensées et de projections. Comment une commissaire travaille-t-elle les différentes matières qui la traversent ? comment les rejoue-t-elle dans les projets curatoriaux ? J’ai réuni ici des espaces peu communs, psychédéliques, insensés et pourtant maitrisés, des lieux du dessin particulièrement vivants, empreints d’une relation consciente et revendiquée aux paysages ou du moins aux éléments naturels. Mais aussi des pratiques appliquées, assidues, minutieuses, ancrées, qui incarnent un geste maîtrisés, répété, presque absolu.
Les lieux figurés dans ces dessins semblent échapper à toute temporalité. Le temps y est suspendu, inexistant ou infini ; les espaces à définir, voire à recomposer mentalement. Où suis-je ? Et dans quelle dynamique temporelle suis-je impliqué-e ? Le spectateur est invité à voyager entre différents espaces vierges de toute présence humaine et à tisser des liens ou saisir des proximités tant formelles qu’esthétiques qui affleurent entre chaque œuvre. C’est aussi un voyage intérieur qui débute avec l’expérience immédiate dans le temps et l’espace de l’exposition et qui se prolonge, s’enrichit dans l’espace de l’édition.
Les œuvres font le pari de la lenteur, d’une contemplation enjouée, de l’imprégnation soigneuse et délicate de sensations réelles induites par des représentations énigmatiques. Ces sensations proviennent des traitements à la fois du trait, des lignes, des perspectives et des cadrages opérés dans chaque dessin. Y a-t-il un centre, des bords, un début, une fin ? Elles se confondent au sein de ces espaces de projections parfois difficiles tant les étendues impriment un paradoxe entre proximité entendue et sidération absolue ; entre appropriation et mise à distance.
Elles se diluent au cœur d’un espace qui révèle ce qui est, là ici et maintenant, dans le dépouillement et sans doute l’essentiel. »
Caroline Engel